Philippe Duchemin et le Quatuor Atlantique - Swing & Strings

Automne 2012


Philippe Duchemin est de ces musiciens qui ont un projet artistique personnel, et pas uniquement un projet de carrière. Cela l’amène à tenter, à prendre des risques et à oser rêver à sa musique, en dehors même d’un rôle d’excellent sideman qu’on lui connaît. Ses rencontres sont l’occasion d’idées nouvelles, comme il nous le raconte dans son livret, et il donne ici un projet ambitieux qui lui ressemble par son exigence et par la recherche artistique ancrée dans son excellente culture musicale.
L’idée de réunir les mondes classique et jazz est une vieille tentation – on se souvient de Django, Grappelli et Eddie South reprenant le Concerto pour deux violons de Bach en 1937, et les « Improvisations » de Django.
Beaucoup de pianistes virtuoses américains (d’Art Tatum à Hazel Scott) ont aussi tâté de cette idée. Il y eut par la suite John Lewis avec le MJQ, les musiciens du Third Stream, et bien sûr, en France, Jacques Loussier qui jazzifia Bach, bon nombre de musiciens comme Rhoda Scott, et on a oublié l’excellent Eddie Bernard…
Si on veut bien se référer au meilleur, il y a évidemment Charlie Parker, Bird With Strings, la rencontre la plus extraordinaire et Wynton Marsalis, une rencontre également très réussie avec le monde des cordes classiques. Il y eu enfin, à un degré moindre, Clifford Brown et d’autres rencontres comme celle de Max Roach avec un quatuor à cordes. Cela pour vous dire l’ambition de Philippe DUCHEMIN que tout le monde ne connaît pas, et il n’est pas donné à tous les musiciens de pouvoir rêver à de tels projets.
Au-delà du rêve, Philippe Duchemin a pleinement abouti son projet, avec une écriture à la fois classique et sobre où les deux mondes –classique et jazz – se rencontrent sans s’amoindrir et sans se marcher sur les pieds, chacun gardant son esthétique (il n’a pas cherché à faire swinguer les cordes), à l’instar de l’inoubliable opus parkérien. Ici, il ne s’agit pas d’un soliste et d’une section de cordes, mais d’un trio, avec une voix prépondérante, celle du pianiste, dont la culture classique et jazz créent le lien indispensable à la rencontre. Tout n’est pas excellent, car il est difficile d’être parfait sur une aussi longue séquence (« Cantabile » est le thème le moins intéressant). Mais il y a de très belles réussites comme « It’s All Right With Me », avec une fort belle introduction des cordes, la plus belle pièce, avec un Duchemin aérien comme son trio, comme « Barcarolle Juin », excellent, et la plupart des thèmes recèlent de beautés ou d’idées originales comme l’association de l’orientalisme du XIXè siècle d’Eric Satie, le Français, et des mânes africains de la Harlem Renaissance de Duke Ellington, l’américain. Le répertoire choisi est une réussite de cet enregistrement, à l’exception déjà évoquée, et les deux compositions brillantes ou sensibles de Duchemin s’intègrent idéalement dans cet ensemble très réussi d’une heure moins sept de belle musique.
Une mention spéciale pour l’écriture des ensembles de cordes de Duchemin, très réussie, un talent qu’il doit absolument cultiver ! Yves Sportis